L’ homme débordé, L’inconstant
Tout commençait ou finissait ainsi
Les hommes l’appréciaient. Était-ce son sourire, son visage, sa sensibilité? Même lorsqu’ Ana se cachait, ils la trouvaient toujours. Derrière ses mots, ils la devinaient et la désiraient. Ils n’eurent de cesse de l’approcher et de tout faire pour lui plaire. Ils fourbirent leurs armes, usèrent de leurs mots comme d’un archet et tels des virtuoses caressèrent les cordes d’un violon imaginaire et les firent vibrer . Musiciens des mots, peintres des émotions, ils visèrent son cœur et touchèrent son âme ou fusse le contraire? Romantiques à souhait, enfin, ils le laissèrent penser. C’est ce que Yann fit . Il n’aurait jamais dû avoir la moindre chance avec elle.Son physique ne l’attirait pas, il n’était pas son type et avait presque l’âge d’ être son père. Si elle lui concédait de l’humour et parfois une grande gentillesse et tendresse affectueuse, elle trouvait qu’il en faisait trop. Tout semblait excessif avec lui. Trop de compliments, trop de sourires, trop diplomate, il maîtrisait tout presque tout le temps, il est TROP, trop tout sauf sincère. Les premières fois qu’elle le lut, elle trouva qu’il était excessif. Il avait une belle plume, joyeuse et sensible quand il le fallait, et surtout très imaginative, une chose qu’elle découvrit plus tard et qu’elle apprécia, car là résidait pour elle toute sa force, tout son charme et tout son attrait, ils habitaient la même planète et voyageaient dans des mondes imaginaires qui n’appartenaient qu’à eux. Ils étaient au diapason, se donnant la réplique avec une parfaite harmonie. C’était magique et suffisamment rare pour que l’un et l’autre se laissent prendre à ce qui n’était point un jeu. Pourtant, elle s’ était immédiatement méfiée de Yann, le voyant arriver à grands pas et s’était immédiatement fait cette réflexion : « Toi, jamais, même pas en rêve, tu es amusant et j’aime bien te lire ou discuter avec toi mais non, alors là, non de non ! ». Elle en était persuadée et rien n’aurait pu la faire changer d’avis. Sauf que….. Pas à pas, Yann l’approcha et au bon moment, ne la lâcha pas. Sans rien comprendre, elle oublia tout ce qu’elle avait pensé de lui, tout ce qu’elle avait senti de lui, tout ce qu’elle soupçonnait déjà, elle oublia toute méfiance et succomba. Immédiatement, il fut trop tard, il l’avait séduite et sut la retenir.Alors commença le ballet des séparations réconciliations, un cycle infernal, impossible à éviter. Contre toute attente, ils s’attiraient mutuellement avec une force incroyable qui ne faisait qu’augmenter. Mais, à chaque fois, elle se rendait compte qu’elle avait vu juste, il était trop changeant, imprévisible, il apparaissait, disparaissait et elle finissait par le quitter, toujours. Dans un monde comme dans l’autre, cet homme était l’archétype de l’homme débordé, l’éternel inconstant.
L’homme qui se dit totalement débordé, à cours de temps, a juste choisi de l’occuper en de plus ou moins futiles échanges, loisirs, rencontres, amitiés et obligations avérées ou non. En tout état de cause, cet homme là n’a de temps que pour lui et n’en aura jamais pour aucune femme. C’est l’un de ces marionnettistes. Cultivé, il en est fier et le fait savoir. Il maîtrise la grammaire et l’orthographe et a pris l’habitude de noter les fautes que chacun fait, il sort un carton rouge et siffle à la faute! Bien sûr, il a raison, mais lui aussi tape parfois de travers sur son Iphone ou sur son Mac. Au final, ça a quelque chose de pas très naturel. Imaginez un dialogue, tout à coup, il reprend un mot qui a été écrit sur le message situé dix lignes avant, on s’y perd, ça rompt le charme et finit par agacer. Il donne son avis sur tout c’est la génération web, où chacun est expert en tout. Restaurant, films, livres…. Tout reçoit une note et même vous, il vous note, il a la dent dure sauf quand il cherche à amadouer une femme, là, il devient un « homme » dans toute sa splendeur, et trouve magnifique ce qui est juste, sans intérêt.Il s’intéresse à l’art, et sur la toile où même les gribouilleurs se déclarent peintres faisant hurler les artistes et proposent leurs toiles à des prix qui font rougir, il soutient ses amies, au fond, c’est un expert. Sa fidélité à certaines dames fait sourire et il se murmure…… Non, voyons elle est trop vieille, c’est juste une amie . Il court toutes les expositions, les conférences, prend des cours d’économie, d’histoire, de philosophie, de psychologie, de poésie ou de littérature. Je me demande comment il peut en voir autant et ne jamais s’arrêter, c’est trop, la vie n’est pas dans un musée.Un peintre, un vrai, qui fut l’ami de Yann et d’Ana, et qui lui aussi parfois hantait les musées se moquait gentiment de ces gens attirés par l’art qui n’y comprenaient rien et couraient d’exposition en exposition. Yann adore la photographie tout comme Ana et prend des photos dans ces musées. A Paris ou à l’étranger, c’est souvent plus facile que dans un musée de province où les vigiles vous sautent dessus si vous faites un pas qui leur déplait alors, imaginez s’ils voient un appareil. Yann n’est pas avare, il partage ses photos avec ses conquêtes, accompagné d’un petit message, puis sur les réseaux sociaux, tant qu’à faire autant que ses 200 contacts puissent en profiter. Il aime communiquer et partager. C’est un besoin vital chez lui, vous vous partagez avec un petit cercle choisi, lui partage avec toujours plus de monde.Très à l’aise en société, il est de ces hommes que l’on aime inviter, pour leur culture, leur humour, l’intérêt qu’il porte aux femmes et leur goût de l’échange sans modération et bien sûr leur savoir vivre, leur politesse et leurs mots d’esprits.Il vaut mieux ne pas entendre ce qu’il murmure à l’oreille des femmes quand l’envie le saisit, car Yann est aussi parfois direct et son langage perd en panache et peut choquer. Mais, il a du succès avec ces dames qu’il adore photographier et Ana doit bien reconnaître qu’il a le don de les faire sourire et de les présenter sur leur meilleur profil, enfin certaines. Elle se souvint du nombre de fois où il lui a envoyé des photos de femmes croisées dans la rue ou lors d’ une exposition ou peintes, en lui disant, elle m’a fait penser à toi, elle te ressemble….Sauf, que si l’intention y était, aucune d’elle ne lui ressemblait à un détail près, elles étaient toutes brunes. Il écoute parler du temps, oubliant qu’il le perd tout autant. Et sur son Iphone écrit à Ana . Il manque de temps et la saisit toujours entre deux instants. Il va au cinéma, puis débriefe avec madame et décerne une note. Un déjeuner ou un souper au restaurant comme vous et moi, et il court encore se balader dans les rues de Paris ou de Rome, au bord de mer ou au bois et envoie à Ana quelques mots gourmands accompagnés de photos, ainsi Ana l’accompagne sans être là, toujours. Il a presque fait le tour du monde. Séducteur, beau parleur, il a assez d’esprit pour pouvoir approcher les plus jolies poupées, les plus intelligentes et sensibles aussi, mais gare à elles …… C’est un collectionneur!….. Malgré son âge, il est hyper branché et hyper connecté. A l’aise financièrement, il bénéficie de la plus haute technologie. Il ne jure que par Apple, possède des Mac, un Ipad, un Ipod et le dernier Iphone. Il aime à s’entourer d’un tas de fantômes qu’il rencontre parfois et multiplie les contacts comme le font les adolescents ou les adulescents, bien qu’il ait depuis longtemps dépassé leurs rives. Il connait tous les réseaux sociaux et y est inscrit. Nul doute qu’avec lui vous découvrirez des sites dont vous n’aviez jamais entendu parler auparavant. Il est partout.Si vous restez quelques jours sans nouvelle, n’ayez aucune crainte, vous saurez tout ce qu’il a fait, il a toujours le temps qu’il faut pour écrire sa vie sur le net, c’est très troublant et étrange. Pense bête public, désir narcissique? Utilisez un moteur de recherche, vous tomberez de votre fauteuil. Aussi, forcément, on peut comprendre qu’il soit débordé. Il fait des jeux de mots d’un goût parfois suranné, cite les textes magnifiques de Brel ou Ferrat mais à force, quel ennui, pourquoi ce besoin, quand il écrit fort bien . Il crie qu’il ne s’ennuie pas, mais il le crie trop fort. Il crie qu’il est heureux, mais il lui manquait et lui manque forcément ce plus.Hier au théâtre, aujourd’hui au musée, samedi au concert, dimanche au cinéma…. Il fuit la mort, comme tout le monde et perd son temps dans d’inutiles errances. Il rêve romantisme et passion mais n’est pas de ceux qui savent les conjuguer ou juste quelques jours, au delà il prend peur, s’affole et s’évapore. La vie éteint les flammes et tout s’effrite avec le temps quand on n’y prend pas garde. Il doute et s’interroge. Se demande parfois s’il pourrait se passer de la conférencière qui parle comme un livre bien écrit et précis mais ennuyeux face à un amphi bondé (ça fait si longtemps qu’elle l’accepte tel qu’il est, infidèle à souhait), pour se laisser aller dans les bras d’une romancière passionnée, un peu trop vive à son goût, qui sait encore se rebeller, claquer les portes et gifler un malotrus, et même qui serait, il le sait, capable de le virer, lui claquer la porte au nez ( pardon) lui indiquer la direction de la sortie d’une main fine un jour ou une nuit d’orage. Il peut être, Ana l’admet, agréable et tendre, amoureux et fougueux et quand il en a envie tellement follement dingue, attachant, détestable et attirant, doux et cruel, tellement Tout qu’il est difficile de lui résister. Un voyage au Japon, à Venise, New York…. Une promenade dans une rue parisienne, dans ce bois où il faisait si froid, l’expo de Jeff Koons et cette invitation surprise à leur mariage….Mais il est aussi terriblement directif, il décide, il ordonne, il exige, avec lui le dialogue dont il se dit l’ardent défenseur est souvent un mot de l’esprit. Cet humaniste affiché défenseur des libertés, a tendance à brimer celles des femmes qui n’ont que peu leur mot à dire…. Enfin, tout dépend qui. Quand Yann ordonne, Ana se rebiffe. Il lui manque l’essentiel, cet être est un inconstant, il manque d’attentions et oublie trop souvent qu’avec Ana, il avait trouvé ce qu’il cherchait sans vouloir le reconnaître. Avec elle il osait tout, il était grand, se livrait et se sentait enfin vivant. Quel dommage, quelle folie, il se perd dans un monde de fantômes, se saoulant de smiley, d’émoticônes et de rires qu’il n’entendra pas et qui, s’il les entendait l’ennuieraient et le feraient fuir encore plus loin.
Bien sûr il ne s’est pas excusé, mais l’a accusée de tout. Il ne le lui a pas demandé mais elle a failli lui pardonner, une fois de plus, une fois de trop. Il y a entre eux une si longue histoire, si forte, qu’elle oublie parfois pourquoi il est juste celui qui n’aurait jamais dû entrer dans sa vie. Mais soudain, le soleil apparaît, la nuit et le brouillard se sont dissipés et elle se souvient de tout. Yann se dit patient, gentil et bienveillant. C’est elle qui a été très patiente, gentille et bienveillante. Elle qui l’a écouté quand rien n’allait pour lui, elle qui l’a soutenu à chaque fois qu’il en a eu besoin. Elle qui a pardonné ses disparitions sous de faux prétextes ou sans la moindre explication, quand il avait tant de soucis qu’il préparait une grande fête de famille et postait encore et toujours des photos avec son avis sur des sites sans lesquels il ne pourrait « plus vivre ». Il était entouré et même s’il n’était plus en activité, pourquoi avait il tant besoin de reconnaissance, pourquoi devait il paraître? On aurait dit qu’il avait peur de ne plus exister. Un jour, il lui avait dit qu’il n’avait pas toujours son portable sur lui ! Lui? Il rigole, c’est l’homme le plus branché qu’elle connaisse, Son iphone est greffé sur lui à deux exceptions près. Yann se dit courtois, pour lui c’est important la courtoisie et ça veut dire, « je t’interdis d’être de mauvaise humeur, je t’interdis de me parler de tes soucis (ce que d’ailleurs elle n’ évoqua sans dire que deux fois quand lui le fit à chaque fois), je t’interdis de claquer la porte », bref tout lui était interdit. Comme cet homme est courtois, attentif et attentionné!!! Le pire qu’elle entendit fut: « Tu dois accepter ce que je te donne! » et surtout cette phrase qui lui échappa et qu’elle comprit si bien qu’elle le quitta « Je ne peux pas et ne veux pas te donner plus ». Il avait immédiatement cherché à se rattraper par une pirouette, mais c’était trop tard. Ainsi, Yann, avait manqué de maîtrise une fois de plus pour un joueur d’échecs, l’erreur était impardonnable, impensable, il était échec et mat, et avait laissé échapper ce qu’elle avait fort bien saisi et depuis longtemps. Il avait du temps, énormément de temps, mais il décidait quand il lui en accorderait et elle devait l’accepter. Pendant des mois il ne la quittait presque pas et il fallait qu’elle soit là, puis il prenait peur ou courait ailleurs et disparaissait lui consacrant largement quelques minutes . Qui aurait accepté ça? Pas Ana et Yann le savait. Elle n’avait besoin d’aucun pense bête et n’avait oublié aucun des mots prononcés ni à ce moment là, ni avant, ni après. Elle n’oubliait jamais rien. Mais, à cet instant précis, la colère monta en elle et elle dit « Non », ce n’était pas la première fois, mais là ce serait la dernière. Yann continuait et continuerait sa vie comme avant, débordé par des occupations avouables ou non qu’il collectionnerait toujours, fuyant tout moment qui le laisserait seul face à lui même, jamais il ne changerait. Jamais elle ne s’était trompée sur lui, elle l’avait su le premier jour qu’il l’avait approchée, Yann avait fait tomber son masque, il avait un potentiel indéniable, mais il était un éternel inconstant, capricieux, lunatique, autoritaire, il ordonnait mais elle n’obéirait plus jamais. Monsieur cent nuances comme elle le nommait parfois venait de tout casser et se perdait.
Et puis, elle s’était souvenu, que cet homme « attentionné » lui avait des mois durant rebattu les oreilles sur ce que Jorge, alors très proche d’Ana, aurait dû faire puisqu’il l’appréciait tant et sur ce qu’il lui avait confié….Seulement, Jorge malgré tous ses défauts s’était montré plus attentionné avec Ana que Yann ne le fut jamais. Yann était même un peu pingre, jamais il n’offrirait le moindre présent à Ana, même pas une rose, quel homme fallait il être pour agir ainsi ?
Les hommes de papier, funambules des mots, en équilibre instable sur le double fil de leurs vies oublient souvent qu’ils ont enfin caressé leur rêve à en frémir de tout leur être, perdant le sommeil et rêvant d’un monde qui serait le leur, peint avec leurs couleurs et leur musique. Un monde où la passion s’écrit noir sur blanc en lettres de sang.
Bella 20022016 Version remaniée et complétée. Ainsi finit l’histoire d’Ana et Yann